Les rythmes entraînent dans leur mouvement la vie tout entière des
individus et des sociétés : les comportements quotidiens et les
expériences esthétiques, les déplacements dans l'espace aussi bien que
l'ordre du temps. Il n'y a pas de vie sans rythme, c'est-à-dire - comme
dans un air de jazz ou une toile abstraite de Mondrian - sans une mise
en ordre variable de faits qui se répètent en combinant indéfiniment
périodicité et rupture.
Philosophes, sociologues, anthropologues,
musicologues s'interrogent parmi d'autres depuis deux siècles sur les
rythmes sociaux, dont Marcel Mauss disait qu'ils commandent les
représentations du temps. Pourtant, il n'existe pas à ce jour une histoire des rythmes
qui confronte nos conceptions et expériences du rythme à celles du
passé. Or, le contraste est fort entre notre monde moderne, où les
rythmes sont partout, mais sont observés dans des champs séparés
(rythmes scolaires, arythmie cardiaque, tempo musical, croissance
économique en dents de scie...) et la civilisation holiste de l'Europe
médiévale : ici, la notion de rythme, héritée de l'Antiquité
gréco-romaine, paraît ne concerner que la musique, la poésie et la
danse, mais elle entre en fait en résonance avec la totalité de la
Création, que Dieu aurait façonnée en six jours.
C'est à ce rythme fondateur que le présent livre emprunte sa propre scansion, en explorant successivement les significations du rhythmus
médiéval, les rythmes du corps et du monde, ceux du temps, de l'espace
et du récit, avant de s'interroger sur la fonction des rythmes dans le
changement social et la marche de l'histoire.