Éditorial
Depuis vingt ans - la fin du régime
soviétique datant de 1991 -, le développement économique et urbain de
Moscou est spectaculaire, dans la logique néolibérale de la
mondialisation, avec son dynamisme mais aussi ses excès qui creusent la
fracture sociale et génèrent de l'exclusion. Les nouvelles fortunes et
les grands chantiers fleurissent(1). Le boom de l'immobilier moscovite
est sans précédent dans l'histoire de la capitale russe devenue une des
villes les plus chères et les plus embouteillées du monde, le parc
automobile ayant connu une croissance exponentielle, renforcée par le
développement de l'habitat pavillonnaire hors la ville. Mais les bonds
en avant les plus rapides sont aussi les plus fragiles en cas de crise.
Celle en cours a mis un coup d'arrêt, après le krach de 2008, à de
nombreux projets, certains signés de stars de l'architecture
internationale, comme Norman Foster avec la Crystal Island et la Russia
Tower. Tours de bureaux, grands centres commerciaux (certaines enseignes
occidentales sont déjà très implantées) et autres programmes
d'envergure sont gelés en attendant des jours meilleurs. Seul le nouveau
quartier d'affaires de Moscow-City - qui sera l'équivalent moscovite de
La Défense pour Paris ou de la City londonienne - tire son épingle du
jeu et ne subit qu'un ralentissement.
Étant relativement peu dense,
la ville peut se développer sur elle-même, tant par requalification de
friches industrielles ou de délaissés que par densification des cœurs
d'îlots traditionnellement vastes et dégagés. Le renouvellement urbain
continue aussi à se faire par démolition et reconstruction, l'ancienne
ville horizontale s'effaçant peu à peu au profit de gabarits plus hauts,
d'autant que les voies sont plutôt larges. La conservation du
patrimoine n'est pas une préoccupation prioritaire, si ce n'est en
termes d'image nationale à vocation touristique. Ainsi le façadisme (on
ne garde que la façade principale) est une pratique courante comme aussi
la reconstruction "à l'identique" (en apparence), voire imaginaire
comme celle du palais Tsaritsino, sans craindre le kitsch ou la
disneylandisation. Un important promoteur a même bâti une copie d'une
des sept vyssotki, les fameux gratte-ciel staliniens qui rivalisent dans les esprits avec les historiques dômes bulbés pour identifier la ville.
Malgré la crise, Moscou reste un pôle très attractif, tant au sein de
la Fédération de Russie qu'à l'extérieur. Capitale du pays le plus vaste
du monde(2), elle est "sujet"(3) à part entière de la Fédération.
Située au cœur de la Russie d'Europe, elle est à seulement 2500 km de
Paris mais à 9100 km de Vladivostok sur le Pacifique. Elle est au
croisement d'influences multiples, occidentales et extrême-orientales,
caucasiennes et d'Asie centrale. Même si les gratte-ciel new-yorkais ont
inspiré les vyssotki dans les
années 1950, elle se développe aujourd'hui plutôt à la manière des
villes asiatiques, les nouveaux milliardaires rêvant sans doute de
Dubaï.
En considérant les villes dans leurs limites
administratives, Moscou (1.060 km2, 10,5 millions hab.) est en quatrième
position pour son chiffre de population après Bombay (11,9 millions
hab.), Sao Paulo et Shanghai. Par contre, si l'on prend les chiffres de
population des agglomérations, elle est 17e, avec 14,7 millions
d'habitants (chiffres 2009), la première étant Tokyo avec 37 millions.
Longtemps, le territoire de la ville a grandi au rythme de
l'agglomération, ses limites administratives calquant la réalité de son
développement sur le terrain. Ce n'est que depuis 1991, avec l'avènement
de la nouvelle organisation administrative de la Fédération de Russie
et le rétablissement du droit de propriété privée du sol, sauf à Moscou
même(4), que la ville intra-muros, restée dans ses limites de 1985, a
été peu à peu dépassée par son agglomération. Aujourd'hui où la question
du Grand Paris est au cœur de l'actualité en France, on voit à quel
point les deux situations sont contrastées puisque la capitale
française(5) est restée, quant à elle, dans ses limites de 1840.
Gwenaël Querrien