Le banc. On s'y assied, en général, sans trop y réfléchir, dans ces
moments indispensables de relâchement ; on s'y repose, on revient à soi,
on se soustrait l'espace d'un instant à l'effort permanent de se relier
au monde. Mais on ne le regarde pas. Or c'est en partie lui qui oriente
et dirige notre regard et mérite donc toute notre attention.
L'Antiquité connaissait déjà les bancs publics - et les vestiges de
Pompéi ou d'Agrigente sont précieux à cet égard. C'est cependant en
Toscane, au sein des nouveaux espaces urbains du XIIIe et du XIVe
siècles, que les bancs, les panche di via, acquièrent un rôle
majeur et trop souvent négligé. Michael Jakob brosse un panorama
poétique et érudit de bancs célèbres qui, posés à des endroits
privilégiés ou non, deviennent lieux de pouvoir et de mises en scène du
regard : le banc des mères de famille, placé face à l'Île des
Peupliers où était inhumé Jean-Jacques Rousseau, à Ermenonville ; les
étranges bancs de Bomarzo, le célèbre « parc des monstres » près de
Viterbe, qui orientent la découverte de scènes fantastiques ; le banc
préféré de Lénine dans sa datcha de Gorki ; le banc serpentin du parc
Güell, à Barcelone...
Afin d'en dégager toute la richesse expressive, l'auteur interroge
aussi les représentations du banc, qu'elles soient littéraires (le banc
de La Nausée de Sartre, les nombreux bancs de L'Arrière-saison de
Stifter), picturales (les bancs de la campagne anglaise peinte par
Gainsborough, ceux de Manet, Monet, van Gogh) ou cinématographiques (le
banc de la scène finale de L'Avventura d'Antonioni).
Il compose ainsi une histoire originale qui changera définitivement
le regard que nous portons sur cet objet, ponctuation visuelle et
symbolique de nos paysages.